Une soirée avec Arthur R. ... et les autres
Dimanche 5 Mai dernier
sur la scène du Théâtre de poche " Dyonissos et Apollon" d'Athènes :
- Au mur, une projection géante du célèbre tableau de Fantin Latour « Coin de table » …
- Sur la scène, une grande table nappée de blanc, avec deux plats de « Koliva » ce mets sucré, parfumé à la cannelle, mélange de blé, d'amandes, de noix, de raisins secs et de graines de grenades que l’on sert aux convives pour commémorer les 40 jours suivant la disparition de quelqu’un..
- A l'extrémité de la table notre hôtesse d’un soir nous attend : Dido Lykoudis, comédienne et metteur en scène. À sa droite, l’écrivain et amoureux de la littérature: Jean Benedetti.
À sa gauche, debout, une jeune fille à la beauté digne d'une princesse Africaine.
Un accordéoniste joue une complainte qui s’élève comme un sanglot dans la pièce obscure.
On s’assoit, un peu intimidés, se demandant à quel genre de cérémonie nous sommes conviés.
La voix de Jean Benedetti rompt le silence parfait, pas même entrecoupé des bruits de la rue si proche.
Il s’interroge – nous interroge - sur les raisons de l'éternelle absence du jeune poète Arthur Rimbaud . Pourquoi ce poète de génie, jeune « vagabond au paletot idéal », qui, après n’avoir écrit que des chefs d’œuvre, a cessé d’un coup toute forme de production littéraire pour partir en Ethiopie faire du négoce? Là-bas, ses travaux d’écriture ne se borneront qu'à quelques rapports administratifs et à des lettres à sa famille.
Les plats de « koliva » prennent alors tout leur sens. Nous sommes réunis pour commémorer un deuil. Les poches d’Arthur Rimbaud resteront crevées à jamais, vides de toute poésie.
Dido Lykoudis se fait alors notre consolatrice en nous invitant à un voyage en Ethiopie derrière Rimbaud et « ses souliers blessés ». Nous traversons des contrées inconnues qui nous mènent jusqu’au trône du majestueux de l' Empereur Menelik. Avant d’y arriver il faudra nous fondre au milieu d’un peuple de « Petits Grecs » comme les appellent Dido, composé de simples commerçants et d’aventuriers qui sont les amis, les compagnons d'expédition de Rimbaud l'aventurier.
Dido Lycoudis, elle-même grecque native d’Ethiopie, raconte de sa voix chaude son pays natal, éclatant de couleurs. Le récit est interrompu parfois par un poème dit en français puis en grec, un chant, un morceau de musique. On se partage les plats de "Koliva", on boit du café vert délicieusement parfumé d’épices. Au mur sont projetées des photographies, comme un album de famille que nous feuilletons ensemble.
Dido Lycoudis, avec passion, se fait l’avocate de Rimbaud et de la légende noire qui l'entoure lors de sa seconde partie de vie, sur fond de trafics d’armes et d’esclaves.
Nous convaincra-t-elle ou non ? Peu importe … Elle nous a offert un beau voyage. Grâce à elle, la voix du poète traversera les siècles et dans 40 jours ou 40 ans il y aura d’autres convives autour d’une table nappée de blanc qui réciteront ses vers et qui le suivront aux confins de l'Abyssinie.